L‘actuel coordonnateur général des équipes nationales du Cameroun, l’ancien Lion indomptable Bill Tchato nous a accordé un entretien exclusif.
Très discret dans les médias depuis la fin de sa carrière en 2013, nous l’avons rencontré l’été dernier à Paris pour une ITW exclusive. Il nous parle de sa reconversion et de l’état d’avancement des infrastructures devant accueillir la prochaine CAN au Cameroun, initialement prévue en 2021 et finalement repoussée en 2022 suite à la crise sanitaire.
Un parcours plus qu’honorable
Bill fait partie de cette génération dorée des Lions indomptables du Cameroun ayant écrit une des belles pages du football camerounais et africain. Champion d’Afrique en 2002, finaliste de l’édition de 2008, finaliste de la Coupe des confédérations face à la France (2003) et une phase finale de la Coupe du monde 2002, Bill a été international à 58 reprises sur huit années consécutives et 330 matchs professionnels sur 18 saisons.
Tout a commencé au centre de formation du stade Malherbe de Caen en 1995 puis respectivement, l’ASOA Valence, l’OGC Nice, Montpellier Hérault, Kaiserslautern (Allemagne), Strasbourg. Un parcours plus qu’honorable et pour finir en beauté, Bill choisit l’exil exotique au Qatar et enfin le Gabon à vol d’oiseau du Cameroun. Bill a su tracer sa route sans faire beaucoup de bruit. Pour sa reconversion il choisit de rester dans le football mais en dehors des terrains et apporte son expérience différemment.
Bill Tchato avec ses coéquipiers Eto’o, Rigobert Song, feu Marc-Vivien Foe et Patrick Mboma lors de la coupe d’Afrique des nations 2002
ITW paru dans le magazine Wandayance à télécharger ici
Après une carrière riche ponctuée par un titre de champion d’Afrique avec les Lions indomptables du Cameroun, que devenez-vous ?
J’ai terminé ma carrière de footballeur au Gabon en 2013, dans la foulée j’ai validé mes diplômes d’entraîneur en obtenant les licences Caf B et C qui m’ont permis d’entraîner une équipe de 2eme division gabonaise. Ensuite j’ai intégré le staff de la fondation Samuel Eto’o à Libreville (Gabon) de 2013 à 2015. Je suis rentré au Cameroun en 2018, et dans la foulée j’ai été désigné Team manager de l’équipe nationale du Cameroun. Aujourd’hui j’occupe le poste de coordonnateur général des sélections nationales de football du Cameroun.
Vous êtes resté dans le domaine du football. Est-ce une volonté ou alors peut-on dire que les choses se sont imposées à vous selon les circonstances ?
On peut le dire ainsi puisque j’ai hérité du poste de Coordonnateur par un concours de circonstances, mais cela reste une suite logique et une continuité de mon rôle de Team manager.
Dans ce numéro nous abordons un sujet délicat, celui de la reconversion des footballeurs professionnels. Que pensez-vous de la précarité dans laquelle se trouvent certains anciens footballeurs professionnels, africains pour la plupart, et comment expliquez-vous cette situation ?
Quand on est en pleine carrière, on ne pense pas tout de suite à sa reconversion. On commet des erreurs par ignorance. On gagne assez d’argent mais on ne pense pas à investir par exemple, on ne pense pas à bien s’entourer. Nous sommes des proies faciles car souvent très sollicités par des personnes qui viennent juste pour profiter de notre statut. On fait de mauvais placements, certains cèdent la gestion de leur patrimoine sans vraiment contrôler, ils se retrouvent au dépourvu à la fin de leur carrière. Il y a aussi le niveau de vie de certains joueurs très au-dessus de ce qu’ils gagnent en réalité et ils finissent très endettés.
Quelle est la différence entre votre rôle de Team Manager et celui de Coordonnateur général ?
En tant que Team manager j’étais focus sur la gestion et l’organisation de l’équipe nationale A du Cameroun. Mon rôle de Coordonnateur est plus large, je m’occupe de la gestion de toutes les équipes nationales masculines et féminines pour toutes les catégories. Cela consiste à gérer de manière administrative toutes ces équipes et j’assure l’intendance et la logistique (l’organisation des déplacements, la préparation des budgets et primes…). Je veille à ce que les équipes n’aient aucun problème administratif ou logistique avant un match ou à une compétition.
Est-ce que nous pouvons dire que Samuel Eto’o a été très important dans l’orientation de votre reconversion, on vous sait très proches ?
J’ai eu ce privilège d’être resté en contact avec Samuel dès la fin de ma carrière de footballeur. Un concours de circonstances a permis que l’on se retrouve au Gabon où Samuel venait d’ouvrir son centre de formation. Il m’a naturellement proposé de faire partir du staff. Aujourd’hui je le remercie encore de la confiance qu’il a eue à mon égard.
Bill et Samuel éto’o coéquipier et ami en dehors des terrains
Le Cameroun organisera la prochaine coupe d’Afrique des nations de football en janvier 2022. Avec un palmarès impressionnant et une grande réputation sur le continent, 42 ans d’attente, n’est-ce pas long pour ce public féru du ballon rond ?
Oui forcément, très long pour les supporters camerounais très fans du football. Mais voyez-vous, tous les trophées du Cameroun ont été gagnés hors du pays. En 2022 on la gagnera chez nous à domicile, ce sera une belle revanche sur tout ce temps d’attente, c’est le principal.
Je peux affirmer que le Cameroun est quasi prêt pour l’organisation de ce grand événement.
Le stade flambant neuf de Japoma, qui a acceuilli le CHAN
Il y a eu beaucoup d’interrogations sur la capacité du Cameroun à organiser cet événement. Certaines mauvaises langues disent même que la situation sanitaire liée au COVID-19 a fait les affaires du Cameroun, qu’en pensez-vous ?
Je peux affirmer que le Cameroun est quasi prêt pour l’organisation de ce grand événement. C’est sûr qu’avec cette crise sanitaire, le Cameroun sera encore plus que prêt. Ce grand rendez-vous est un très grand défi à relever qui puisait dans une nouvelle formule inédite à 24 équipes.
Pouvez-vous nous donner une idée des avancées des différents chantiers (stades, hôtels, routes) ?
Je pense que tout est prêt. Tous les stades sont pratiquement opérationnels. Si la CAN s’était déroulée en janvier 2021 comme initialement prévu, le cahier des charges qui prévoyait une livraison des infrastructures six mois avant la compétition, c’est-à-dire en septembre 2020, aurait été respecté. Je précise quand même que le Cameroun s’est doté des infrastructures aux normes internationales. Un vaste chantier, un défi que le Cameroun a su relever.
En ce qui concerne les réalisations, trois stades ont été entièrement construits : le stade Paul Biya de Yaoundé (60 000 places), le stade Japoma à Douala (50 000 places), le stade Kouekong de Bafoussam (20 000 places). Trois autres stades ont été rénovés : le stade Ahmadou-Ahidjo (40 000 places), le stade de la réunification à Douala (39 000 places), le stade Omnisports Roumdé Adja de Garoua (25 000 places). Le Cameroun dispose de huit stades pouvant abriter la compétition. On peut aussi citer tous les stades annexes construits ou rénovés qui serviront pour les entraînements des équipes, tous opérationnels.
Les réseaux routiers ont également été aménagés sur toute l’étendue du territoire national. Certaines routes ont été créées, ainsi que des bretelles afin de fluidifier et de faciliter les accès aux stades. Il en est de même pour les hôtels. Je peux donc affirmer après avoir consulté le comité d’organisation (COCAN), que le Cameroun est quasi prêt pour l’organisation de la CAN 2022.
L’organisation de la CAN permet au Cameroun de se mettre à niveau sur le plan des infrastructures en se dotant des stades aux normes internationales, mais qu’en est-il sur le plan sportif ?
L’équipe nationale du Cameroun est toujours en chantier depuis le départ de Clarence Seedorf et même avant, malgré le titre de champion d’Afrique remporté au Gabon en 2017. Comme tous les pays, on ne peut pas toujours avoir une équipe au top, le football est de plus en plus difficile, les petites nations s’améliorent sans cesse et aussi les générations changent. On ne peut pas toujours tout gagner et cela est arrivé même aux grandes nations telles que le Brésil. Cela n’a pas empêché le Cameroun d’être champion d’Afrique en 2017 au Gabon.
Comment expliquez-vous que les Lions indomptables ne font plus peur, cette nouvelle génération a-t-elle du mal à gagner le respect de tous comme ce fut le cas à votre époque ?
Aujourd’hui nous avons une nouvelle génération de joueurs nés pour la plupart en Europe, la majorité n’a pas joué au Cameroun. A partir de là certains sont moins patriotes. Ces jeunes internationaux ont une culture plus européenne que camerounaise, certains pensent plus à leur club qu’à leur pays d’origine et d’autres se font presque prier pour venir en sélection. Le Hemley (le figth & spirit camerounais) n’est plus le même. Pourtant le Cameroun regorge toujours de talents.
Nous ne faisons plus peur comme avant peut-être, mais nous sommes toujours capables comme en 2017 au Gabon de gagner. Cela voudrait tout simplement dire qu’on restera toujours parmi les meilleurs en Afrique. Par ailleurs, je ne pense pas
On remarque aussi que les clubs camerounais ne sont plus très compétitifs sur le plan africain, ce qui expliquerait peut-être pourquoi il y a peu de joueurs locaux en sélection nationale ?
Ce qu’il faut retenir aujourd’hui est que le président de la fédération actuel a mis en place un programme au niveau des jeunes, cela doit permettre d’améliorer la formation et s’inscrire sur du long terme. Les clubs pourront être plus compétitifs sur le plan africain et peut-être qu’on verra certains joueurs locaux intégrer l’équipe nationale A.
Le football international a beaucoup évolué sur le plan organisationnel et structurel. Les footballeurs sont de plus en plus présents dans les organigrammes des clubs, certains occupent même des postes de décision. Une volonté du président en exercice de la FIFA Gianni Infantino de replacer les footballeurs au centre des débats, quelles sont vos impressions ?
C’est une très bonne chose, le football aux footballeurs. Mais on ne doit pas confier de hautes responsabilités aux footballeurs juste parce qu’ils ont eu un nom dans le football. Il faut aussi qu’ils soient compétents, volontaires et passionnés.
Que pensez-vous de votre ancien coéquipier en sélection nationale Geremi Njitap, aujourd’hui président de la FIF Pro pôle Afrique et président du SYNAFOC (Syndicat Nationale des Footballeurs Camerounais) ?
Avoir été un grand joueur ne veut pas forcément dire qu’on sera un grand dirigeant. Geremi a de grandes responsabilités aujourd’hui et il s’en sort plutôt très bien. L’avantage des joueurs africains qui occupent des postes à responsabilités est qu’ils ont un véritable vécu et ils ont acquis de réelles expériences de haut niveau. Ils ont à cœur l’envie de transmettre pour faire avancer l’Afrique. J’espère qu’il y aura encore plus de joueurs africains qui accéderont à des postes de décisions afin d’impacter plus et de faire évoluer le football sur le continent ■